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INFOCIVICA - EST-IL POSSIBLE DE CONSTRUIRE UNE TÉLÉVISION PUBLIQUE EUROPÉENNE ?
Turin, Rai - Prix Italia – 24 septembre 2009


Giuseppe Richeri

Institut Medias et Journalisme, Université de la Suisse Italienne, Lugano

Quelle TV publique pour quelle société ?

D'évidence il semble difficile de se confronter d'emblée à l'idée d'un service public de dimension européenne dès lors que le concept-même de service public est depuis quelques années en crise et est partout l'objet d'une reconsidération. Cette reconsidération qui, pour en avoir suscité beaucoup de débats dans mon pays, n'en a pas pour autant produit beaucoup de résultat car le courage a manqué pour déplacer radicalement les points de référence nécessaires à la reconstruction de la légitimité de ce service public, à son identité et à sa mission d'intérêt général.

Cette redéfinition a jusqu'à maintenant privilégié quatre points: le rapport avec la pouvoir politique, la concurrence avec le secteur privé, les nouvelles technologies et les ressources financières. Sans poser, avant toute chose, le fait que l'idée que nous nous faisons, majoritairement, du service public et de son rôle est de nos jours dépassée car elle est née et s'est développée dans un contexte social radicalement différent. C'était une époque où l'on se figurait que la grande majorité du public avait des besoins, jusqu'alors alors jamais satisfaits,, d'information, d'éducation et de divertissement. Un temps où l'on pensait que radio et plus tard télévision, seraient ces outils si appropriés à la satisfaction de ces besoins et ce d'une façon capillaire, rapide et économique. Une époque où prévalait un large consensus quant à la nécessité d'une intervention de l'État, au-delà même du périmètre scolaire, avec des instruments « pédagogiques » pour la promotion culturelle des citoyens. Quand la télévision était encore considérée comme puissant moyen d'unité, d'intégration et de modernisation du Pays ...et quand la télévision était monopole d'État.

Aujourd'hui, notre société est profondément différente de ce qu'elle était alors comme le sont les situations économiques des individus et des familles ainsi que leurs modes de consommation de biens matériels et immatériels, leurs besoins et leurs désirs. C'est de ce constat que nous devons partir pour repenser le service public radio-télévisuel, ses fonctions et ses interlocuteurs sociaux. De là et non des nouvelles technologies ni de la concurrence du privé ou des rapports avec le pouvoir politique et encore moins d'une quelconque inefficacité ou encore de la gabegie supposée des entreprises télévisuelles publiques. Tous ces problèmes ne viennent qu'après.

Est-ce qu'il y encore dans ce pays une majorité qui ait ces besoins « d'information, d'éducation et de divertissement » qu'elle ne puisse satisfaire avec ses propres moyens économiques ou intellectuels ? Quels sont les éléments du corps social qui ont aujourd'hui besoin de la télévision publique ? Jusqu'à quel point est-il judicieux que l'État soit le maître d'œuvre de contenus médiatiques ? La télévision est-elle encore mesure d'offrir des éléments de partage identitaire, de fédération culturelle, de participation citoyenne et de promotion culturelle ?

Je crois que ce sont quelques-uns des points qui doivent faire l'objet de la plus profonde réflexion pour être en mesure d'interroger avec courage la légitimité, non pas formelle mais essentielle et la fonction de la télévision publique aujourd'hui.

Télévision et Union Européenne

Il nous faut avoir ce courage de faire un bilan des initiatives européennes dans le champ télévisuel en confrontant les objectifs, les ressources investies et les résultats obtenus. Si on ne peut parler d'une faillite totale, je pense néanmoins que les échecs furent nombreux et les résultats positifs indéniables rares en regard des attentes.

Pour ce qui concerne l'Italie, il serait difficile de soutenir que les initiatives télévisuelles européennes aient peu ou prou contribué à l'enrichissement des connaissances et à l'approfondissement du sentiment d'appartenance à l'Europe chez les téléspectateurs italiens. L'exemple de Euronews en est la meilleure illustration.

Si il est exact que mieux vaut Euronews que rien du tout, on peut cependant affirmer que son impact sur le grand-public, celui auquel il est primordial d'offrir cette ouverture vers l'Europe, est tout à fait marginal.

Je considère qu'il est plus que jamais non seulement important mais nécessaire de trouver des initiatives pertinentes et fortes pour renforcer l'adhésion des citoyens au projet »européen » (mais lequel ?) et ce dans tous les pays, qu'ils soient de la vieille ou de la nouvelle Europe. Je ne crois pas en revanche qu'une télévision publique européenne soit l'objectif à atteindre. Non pas tant pour la quantité d'expériences « européennes » infructueuses de ces dernières décennies ni même pour la difficulté liée au paquet financier, aux plates-formes techniques, à la gouvernance et à l'organisation d'une telle entreprise, aux formats et aux grilles de programmes etc. bien que ces aspects soient tous de première importance. Ma critique se situe plus en amont de ces questions et je vais tenter de la résumer. Les rapports entre les citoyens européens et l'Europe (institutions, les politiques, les initiatives, les difficultés etc.) varient d'un pays à l'autre (je m'arrête à ce niveau) et sont fortement tributaires des aspects historiques, économiques et socioculturels nationaux. La construction européenne est une proposition pour résoudre les problèmes de ces citoyens et pour améliorer leurs conditions de vie.

Pour leur permettre d'assimiler positivement les différentes étapes de cette construction tout en renforçant leur sentiment de participation, je crois qu'il est nécessaire de partir, non plus de l'Europe, mais de leurs propres conditions nationales pour leur en faciliter la compréhension et en apprécier la mission et ceci au cas par cas. La politique sucrière de l'Europe a des conséquences tout à fait différentes en Allemagne, en Italie ou en Hongrie. Les stratégies européennes en matière d'infrastructures de transport affectent différemment les espaces, les territoires, les pays et les citoyens européens etc. Seuls les moyens de communications nationaux sont, pour le grand-public, à même de déployer cette indispensable fonction médiatrice entre « information européenne » et contextes nationaux et locaux. En d'autres termes, les informations européennes sont difficilement compréhensibles, interprétables, et légitimées sans ce travail de « localisation ». Parce ce que les contextes de référence des citoyens européens sont avant tout nationaux et locaux et c'est à l'intérieur de ces périmètres que les informations européennes peuvent avoir une place notable dans le paysage informatif.

Une agence télévisuelle européenne

Alors, n'y a t-il rien que nous ne puissions faire ? Je crois que l'objectif premier à mettre en œuvre est de faire pénétrer avec force l'Europe dans les programmes des télévisions nationales et dans les offres de contenus désormais accessibles par une multiplicité de plates-formes techniques et de modes d'accès. Il suffit d'observer les principaux programmes des télévisions publiques et privées pour réaliser combien les institutions européennes, les sujets généraux ou ceux qui traitent de l'interdépendance entre les partenaires européens sont peu présents dans les programmes d'information pour le grand-public.


Parmi les initiatives susceptibles de favoriser cet objectif il pourrait y avoir la création d'une agence « européenne » en mesure de développer une action systématique et coordonnée sur de nombreux plans et directions parmi lesquels une fonction productive:

• fournir des matériaux semi-finis quant aux thèmes présents dans l'agenda des institutions européennes en vue d'offrir aux différentes rédactions et de différents supports. Ces matériaux pourraient être dès lors adaptés aux conditions nationales spécifiques et être insérés dans leurs différentes offres (grilles, programmes, etc.);

• une fonction promotionnelle : négocier avec des rédactions spécifiques des initiatives de coopération sur des thèmes européens particuliers ou sur des thèmes nationaux et locaux d'intérêt ou d'importance européens ; fonction commutative : recevoir des propositions et sollicitations de rédactions spécifiques et les répercuter vers d'autres partenaires européens ;

• fonction d'intermédiation : entre les différentes rédactions spécifiques et les différentes structures des institutions européennes ;

• fonction intermodale : projeter et favoriser la diffusion sur diverses plates-formes et médias de contenus d'origine spécifique et d'autres réalisés par des partenaires différents.