Beata Klimkiewicz
Maître-Assistant, Institut de journalisme et de communication sociale Université Jagellonique de Cracovie – Pologne.
Quelques remarques à propos de la réforme Medias de Service Public: la perspective de l’Europe Centrale et Orientale
Les Médias européens de Service Public connaissent actuellement l'une des plus profondes mutations de toute leur existence et ceci non seulement parce celle-ci touche à une redéfinition de leur mission dans un nouvel environnement de la communication et que la pression de la Commission Européenne est toujours plus forte en ce qui concerne la mise au clair de leurs obligations et la question des relations financières avec leurs gouvernements respectifs (* 1), mais aussi, et surtout, à cause de nouveaux choix politiques inspirés par des mesures incitatives du marché (suppression de la publicité en Espagne et en France) ou par des raisons populistes (abolition de la redevance en Hongrie et débat politique sur cette option en Pologne et République Tchèque).
Comment cette nouvelle galaxie – technologique, économique et par-dessus tout politique – affecte-t-elle la perception et la nature du mécanisme de régulation à l'intérieur duquel les Médias de Service Public ont fonctionné jusqu'à aujourd'hui? Le processus de décision politique répond-il aux attentes démocratiques lorsqu'il s'agit des Médias de Service Public? Evoluent-ils vers un modèle convergent paneuropéen où la logique commerciale serait prééminente mais avec le maintien du contrôle par les partis politiques au détriment d'autres forces relevant d'une démocratie représentative? Toutes ces questions sont apparues tandis que dans la plupart des pays européens les Médias de Service Public s'efforcent de défendre leur territoire et leur identité dans un contexte toujours plus compétitif et foisonnant en outre de la multiplication des plates-formes et des services.
La Pologne et d'autres pays d'Europe centrale semblent remplir tous les critères pour être un laboratoire en ce domaine: depuis une vingtaine d'années des Médias de Service Public sont nés de la profonde réforme du système des moyens de communication avec pour conséquence la modification des dispositifs de régulation dans un contexte d'affaiblissement de nombreuses instances institutionnelles – soit par les modes de financement (suppression de la redevance et du financement par le budget de l'État) soit par la dévolution de la mission de Service Public à des opérateurs privés/commerciaux. En d'autres termes, les étapes de la vie des médias de Service Public – naissance, croissance, maturité et déclin- ont été caractérisées par des durées et des intensités différentes que celles qui ont pu prévaloir dans d'autres pays et régions européens. Certaines phases n'ont été qu'embryonnaires (“la maturité”) tandis que d'autres – bien que plus courtes- ont coïncidé avec la phase de montée en puissance des opérateurs privés (la phase de “croissance”). Par ailleurs, une nouvelle perception et conceptualisation des médias (moins comme système médiatique centralisé institutionnalisé et totalement homogène que comme ensemble de services et applications sur le réseau) crée aujourd'hui des conditions de discussion où la justification d'un système centralisé sera probablement de plus en plus difficile.
Les médias de Service Public en Pologne et dans d'autres pays de l'Europe Centrale et Orientale sont le résultat de bouleversement entamés en 1989. Les attentes en matière de normes étaient suspendues à deux préalables. Le premier réclamait l'achèvement du processus d'indépendance vis à vis de l'État et des partis politiques. Le second supposait une indépendance partielle vis à vis des forces du marché à travers une source duale de financement permettant au Service Public de Radiodiffusion de recourir aux recettes du sponsoring et de la publicité mais aussi de bénéficier de la manne de la redevance ou de toute autre forme d'aide étatique (par exemple pour la production de programmes éducatifs) pour ce qui relèverait des missions de Service Public. Ces projets se heurtèrent à de nombreuses difficultés.
A un niveau général, on peut au moins évoquer trois entraves. D''abord, le “Nouveau Service Public” maintenait inchangé l'ancienne organisation institutionnelle du service médiatique d'État tel qu'il avait été conçu, notamment dans le cas de la télévision, pendant la période du communisme. Ensuite bien qu'ait prévalu une option nationale pour un système à trois niveaux composé des secteurs public, privé/commercial et social/civique, une solution née de la volonté de reproduire le modèle dual d'Europe de l'Ouest s'est imposée. Les options telles qu'un système a trois niveaux qui étaient apparues lors des tours de table de 1989 se révélèrent sources de grandes difficultés pratiques ( * 2 ). C'est ainsi que ce ne fut non seulement un système dual qui fut emprunté au paysage médiatique de l'Europe de l'Ouest mais aussi un schéma de Service Public et de son autorité de régulation issus des modèles occidentaux. Dans le même temps, il est à noter que de nombreux changements historiques ainsi que dans les processus sociaux ont abouti dans les faits à une pluralité de modèles de médias de Service Public en Europe occidentale et que le soi-disant “modèle Ouest-européen” (ou professionnel ou autonome) est une pure abstraction qui n'intègre pas la réalité de ces processus ( * 3 ). Enfin, et c'est le troisième point, le point de départ de la naissance d'un Service Public institutionnel en Pologne et dans d'autres pays d'Europe centrale coïncide avec l'intensification de la critique vis-à-vis du Service Public en Europe de l'Ouest et avec sa crise. D'un côté, un Service Public Ouest-européen a été retenu comme référence pour permettre aux disciples involontaires et aux politiques d'adapter leurs appréciations et leurs réflexions pour d'abord prendre la mesure des bénéfices (ou des nuisances) de modèle des Services Publics de l'Europe Centrale et Orientale. D'autre part, le schéma Ouest-européen de Service Public a été introduit avant même que qu'une solution alternative ou une réforme soient menées à terme avec succès dans l'Europe Centrale et Orientale. Dans des circonstances historiques données, ce modèle Ouest-européen est apparu obsolète avant même qu'il ne puisse être transposé en réelles applications sociales, politiques, culturelles et technologiques au sein de l’Europe Centrale et Orientale. ( * 4)
Ces trois niveaux de difficulté et de contradiction ont déterminé un cours tout à fait spécifique dans l'Europe Centrale et Orientale qui désormais requiert des voies différentes vers une perception pratique et théorique enrichie du concept de médias Service Public, à la fois en termes institutionnels et en termes de services proposés dans l'espace culturel national et paneuropéen.
Note
* 1 - H.E. MEIER, “Beyond Convergence: Understanding Programming Strategies of Public Broadcasters In Competitive Environments.” In European Journal of Communication Vol. 18, No. 3, juillet-septembre 2003, pp. 337-365. * 2 - B. OCIEPKA, Dla kogo telewizja? Model publiczny w postkomunistycznej Europie Środkowej (Who gets the television? The model of PSB in post-communist Central Europe), Wrocław, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocławskiego, 2003. [La télévision pour qui? Le modèle (radiotélévisuel) public dans l'Europe centrale postcommuniste]
* 3 - Voir PETER HUMPHREYS, Mass Media and Policy in Western Europe, Manchester, Manchester University Press., 1996; et DANIEL HALLIN, PAOLO MANCINI, Comparing Media Systems: Three Models of Media and Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, 358 p.
* 4 - KAROL JAKUBOWICZ, “Ideas in Our Heads: Introduction of PSB as Part of Media System Change in Central and Eastern Europe”, European Journal of Communication Vol. 19, No. 1, janvier-mars 2004, pp. 53-74 [voir en particulier la p. 67].
|