3. Conclusions
En guise de conclusion, quelques remarques pour une réflexion future. Tout d'abord, il est indispensable d'être très attentif aux éventuelles distorsions à la concurrence engendrées par le Service Public de Télévision par une sorte de mimétisme vis-à-vis des radiodiffuseurs commerciaux. En toute logique, il faut également être vigilant aux distorsions à la mission de service public suscitées par l'ambivalence du modèle, soit à cause de son insistance sur les options commerciales et concurrentielles, soit à cause des ambigüités et des malentendus entre «culture» et «marché», soit encore à cause de la mise en œuvre d'activités qui ne font pas partie de sa mission (publicité, commerce électronique, usage de numéros de téléphone, etc.).
Je dirais même que l'on doit débattre de l'existence éventuelle de programmes incompatibles avec les principes d'intérêt général et de service public. Le service public se justifie et se légitime parce qu'il se distingue des opérateurs commerciaux de par sa mission ultime de servir l'intérêt public. Toutefois, à l'heure actuelle, le mandat et les compétences de service public restent trop vagues. On a parfois que la définition du Service Public de Télévision ne va pas au-delà du concept de service d'intérêt économique général (SIEG). Mais sa mission l'exige pourtant clairement. Si les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence, la mission du service public, elle, dispose d'un cahier des charges bien plus complexe et, de notre point de vue, irréductible à un «SIEG».
En ce qui concerne le SPT en ligne et sur les nouvelles plateformes, les offres payantes peuvent exceptionnellement être considérées comme partie intégrante de la mission de service public, pour autant qu'elles se distinguent clairement des offres commerciales. De plus, les services d'information en ligne répondent aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de la société. Néanmoins , nous considérons qu'il faut prendre en compte le modèle allemand où la mission de service public est axée autour de l'information, de la formation et de la culture, dans les différents domaines – arts, sciences, pensée, cinéma, musique. Il est fondamental de miser sur l'héritage culturel européen et l'Idée d'Europe
De notre point de vue, la CE doit intervenir de manière plus claire sur les matières suivantes : une définition plus approfondie de la mission de service public ; la production et la diffusion de contenus d'origine européenne ; le contrôle de l'indépendance des opérateurs et des régulateurs ; l'adéquation des principes établis pour le Service Public de Télévision en ligne versus le Service Public de Télévision traditionnel et, finalement, la réflexion sur les notions d'audience, de public, de citoyens et de consommateurs. On trouve aussi dans le cadre normatif une conceptualisation qui conduit à un multiple financement du Service Public de Télévision, non prévu par la Commission, à l'instar du câble : fonds publics, plus publicité, plus redevance, plus souscription…
Il faut également tenir compte de la position de l'organisme public de radiodiffusion sur le marché – comme l'affirme la Commission -, de la présence d'offres similaires ou substituables, des incidences sur les initiatives privées, de la concurrence éditoriale, etc. Il faut affirmer clairement qu'il n'y a aucune raison de maintenir un financement public lorsque les SPT opèrent sur le marché de la même façon que le font les radiodiffuseurs commerciaux.
Dans un marché hyper-segmenté et d'offre multiple, il est de moins en moins justifiable que des opérateurs publics opèrent dans un système de concurrence ou même tirent parti d'activités commerciales. Nous pensons que pour les médias du système public la tendance doit être de réduire et de densifier qualitativement leurs contenus et non l'inverse.
Deux ou trois autres questions se profilent, tout d'abord sur le service public de télévision dans le contexte européen. De notre point de vue, il manque véritablement– et cela depuis toujours – une réflexion sur la redéfinition de la mission do service public concernant une plus grande proximité vis-à-vis du projet de construction européenne. Il est vraisemblablement décisif de penser la relation entre le service public de télévision (SPT) et l'Idée d'Europe, de penser surtout de quelle façon le Service Public de Télévision peut contribuer à l'approfondissement de la consolidation du projet européen. Deuxièmement, et par voie de conséquence, on propose une plus grande harmonisation entre les services publics des États membres, ainsi qu'une nouvelle stratégie de communication européenne centrée sur l'idée de message et non pas de « massage ». Finalement, on demande un profond compromis entre l'audiovisuel européen et l'Europe des citoyens, ce qui peut se traduire par la proposition d'un débat élargi et permanent sur ce thème, mené de concert par les institutions européennes (Commission, CE, PE, UER) des experts, des universités, des opérateurs, des associations, etc.
En ce qui concerne de nouveaux publics (web) plus participatifs, ainsi que le concept de «public value» , il est indispensable d'approfondir, de manière claire, le débat autour du nouveau rôle du Service Public de Télévision et de ses destinataires dans un contexte numérique. C'est encore la même question : des citoyens ou des consommateurs ? Sur ce thème, il faut certainement revoir – dans un contexte numérique – les concepts de pluralisme, de diversité et de citoyenneté. Ce sont des thématiques primordiales à partir desquelles peuvent être remises en question la légitimité du modèle actuel et, je dirais même, l'existence même du Service Public de Télévision à l'avenir. Quelques points méritent d'être traités. Dans un contexte concurrentiel et numérique, il est impératif d'éclaircir ceci : quels contenus européens dans les télévisions publics européennes et pour quelles audiences ? Est-on d'accord avec cette affirmation que «l' audience est le double obscur du public» ? Les contenus nationaux sont-ils nécessaires et suffisants pour combler les quotas de production européenne ? Est-on d'accord pour dire que le service public ne doit pas répondre à une audimétrie commerciale, mais davantage à une « qualimétrie», c'est-à-dire, à des études régulières qualitatives qui contrôlent l'accomplissement de la mission du Service Public de Télévision (voir les évolutions récentes du modèle français et espagnol). Finalement, il est important de débattre la mission du Service Public de Télévision face aux nouveaux publics participatifs du numérique, ainsi que sa contribution au renforcement de la cohésion sociale et culturelle de l'Europe, l'attention aux groupes et cultures minoritaires et la qualité de l'accès et la présence de la société civile et de ses multiples voix. En d'autres termes, il faut penser la notion de « public value » du service public, centrée sur la consolidation du projet européen, fondée sur la cohésion sociale, la diversité culturelle et aussi sur une forte expérience de la citoyenneté.
À propos de la migration vers le numérique, la redéfinition de la mission du Service Public de Télévision dans ce domaine – dans un « environnement » Web – devrait être accompagnée, dans un premier temps, d'un renforcement des exigences face au modèle classique de radiodiffusion, notamment en matière de qualité et de quantité des contenus d'origine européenne. On doit également faire en sorte que la présence des opérateurs publics sur le web ne se fasse pas sur un modèle de l'imitation des projets (contenus, informations, etc.) déjà existants, de manière à faire émerger en pointillé un nouveau compromis fondé, soit sur l'idée d'Europe, soit sur l'héritage culturel européen, mais aussi sur un modèle « public media » véritablement alternatif/complémentaire par rapport à l'offre des opérateurs commerciaux (en rediffusion et sur le web). Finalement, on suggère d'analyser les nouvelles dynamiques du concept et de la pratique numérique du Service Public de Télévision en ce qui concerne la cohérence du modèle, ses objectifs (aussi dans le contexte plus général des politiques de l'UE) et l'évaluation transparente de l'incidence globale des nouveaux services médiatiques financés à l'aide de fonds publics, comme il a été récemment défendu par la Commission (32). En définitive, il me semble que, à l'ère du numérique, le « public service media » doit être pensé d'une façon plus proche d'un service universel que d'un service public, mais aussi commercial.
32) COMMUNICATION DE LA COMMISSION CONCERNANT L'APPLICATION AUX SERVICES PUBLICS DE RADIODIFFUSION DES RÈGLES RELATIVES AUX AIDES D'ÉTAT (TEXTE PRÉSENTANT DE L'INTÉRÊT POUR L'EEE).
http://ec.europa.eu/competition/state_aid/legislation/broadcasting_communication_fr.pdf