Enrique Bustamante Ramirez
Professeur en "Communication audiovisuelle et publicité" de l'Université Complutense de Madrid, Membre du Conseil pour la réforme des moyens de communication de titularité de l'Etat, Espagne
Face aux défis de l´âge numérique. Nouvelles menaces pour le service publique européen
Le service public de radiodiffusion européen est, ces dernières années, confronté à des défis d'une ampleur jusqu'ici inconnue. Ceux-ci font suite à la dérégulation et à l'émergence d'un secteur privé qui l'ont mis dans l'obligation de repenser ses structures et ses stratégies. Le rapide passage à la télévision numérique, avec pour conséquences, la multiplication de l'offre de la TNT et la fragmentation des audiences, la nécessaire traduction de ces missions dans l'environnement Internet et les nouvelles définitions professionnelles induites par l'apparition de la notion d'éditeur multi-plateforme et multi-support, placent ce service public face à un défi qui réclame volonté politique, management adapté et moyens financiers adéquats.
Comme nous avons développé dans un texte récent (* 1), ces exigences ne se sont qu'imparfaitement traduites en pratiques réelles dans la plupart des pays européens, et ce notamment dans les pays de l´Europe latine où la culture de service public a toujours été historiquement vécue dans une subordination aux pouvoirs politiques, ainsi que chez les nouveaux membres, issus du bloc de l'Est, de l'Union Européenne, formatés par des décennies de “socialisme réel” et soumis après 1989 à une dérégulation sauvage. Dans les dernières années cependant, des réformes démocratiques comme au Portugal (2000-2004) ou en Espagne (2006) ont semblé indiquer que cette “malédiction” méditerranéenne disparaissait au profit d'un paysage plus divers mais dans le respect des pré-requis fondamentaux pour un modèle européen de service public (indépendance politique, contrats-programmes de missions précis, financement public majoritaire…).
Dans le même temps, nous avons analysé comment (en sus de la puissante pression exercées par les secteurs privés nationaux), les documents et directives de Bruxelles ont créé un climat peu favorable à un quelconque renforcement du service public. Cela s'est traduit par l'absence de tout statut juridique clair et précis pour ces institutions pourtant reconnues “d'intérêt économique général” offrant en cela un puissant contraste avec la «flexibilité» qu'a fréquemment su montrer l'U.E. pour les grands groupes privés.
Mais les récentes réformes en France et en Espagne ravivent des incertitudes quant à la possibilité qu'elles fassent tache d´huile dans d´autres pays.
Inaugurée par la mission et le rapport Copé, sur une base prétendument progressiste, sur la suppression complète de la publicité sur France-Télévision à la fin de 2010 (depuis 2009, cette suppression est effective à partir du prime-time et pour les programmes suivants), a trouvé son écho en Espagne qui a décrété la disparition complète de la publicité sur la TVE à partir de la fin 2009. Ces deux réformes, de même nature quoique portées par des gouvernements d'obédiences opposées dans tous les deux cas, trouvent leur prétexte dans la crise économique. Cependant en se réclamant d'une certaine pureté du service public; sans souci des réalités économiques, ils abandonnent et le service public et le marché publicitaire aux diktats du marché. Ces réformes, tant en France qu'en Espagne ont été précédées ou suivies de mesures de dérégulation qui ont bénéficié aux groupes privés (assouplissement des règles encadrant la publicité ou des obligations d' investissements dans le cinéma ou dans le secteur de » la production indépendante, des normes antitrust…). Ainsi en France comme en Espagne des restructurations profondes des structures audiovisuelles nationales ont été effectué dans le seul souci de profits politiques à court-terme.
Face à la redevance ou au financement par l´Etat, comme sources financières publiques, face à la publicité comme une recours importante mais de plus en plus contrôlé, émergent ainsi des sources inédites, comme les taxes sur l´usage du spectre radio-électrique des fréquences, sur la publicité des chaînes privées, sur la chiffre d´affaires des opérateurs de télécommunications et d´Internet…, mais qui s'avèrent problématiques dans leur mise en œuvre tant par les réticences qu'elles peuvent susciter que par les règles communautaires.. L'affaiblissement prévisible du service public le placerait dans une situation de faiblesse irrémédiable, dans une époque caractérisée par la crise économique et l´endettement colossal des Etats.
Au delà des questions sur l'avenir de ces nouveaux modèles, émergent en corollaire des multiples interrogations portant sur le court et le long terme. Qu'en sera t-il de la nouvelle gestion de ces entités publiques ? Que seront les stratégies d´influence dans un contexte de la publicité non-compétitif, (a-contrario de la course à l'audience). Quels seront les coûts de la programmation dans ce temps désormais libéré par la publicité. Quel sera leur rôle comme moteur de la production audiovisuelle, de quel poids pèseront-elles dans un futur qui verra le système s'infléchir vers toujours plus de marché ?.
Note
* 1 - Enrique Bustamante , "Public Service in the Digital Age. Opportunities and Threats in a Diverse Europe", in Isabel Fernández Alonso, Miquel de Moragas ( sous la direction ) , Communication and Cultural Policies in Europe , Barcelona, Generalitat de Catalunya, Colección Lexikon, 2008, pp. 185-215 |