RAPPORT DE CONCLUSION 2010
La transformation de la société et de la radiodiffusion de service public
par Philip Schlesinger et Michele Sorice
Ce document trouve sa source dans le travail préliminaire mené par le «Groupe Européen de Turin» (sur une initiative de l'Association Infocivica à l'occasion de deux séminaires qui se sont tenus en septembre 2009 et septembre 2010 dans le cadre du Prix Italia). Les participants à ce groupe sont des chercheurs issus d'institutions académiques de neuf pays européens. L'objectif principal de ce Groupe Européen de Turin est de promouvoir le débat et l'intérêt pour les médias de service public et leur place future au sein des sociétés européennes.
1 - Nous considérons qu'il y a une réelle possibilité d'influer sur les modalités et sur les termes du débat et qu'il y a, de toute évidence, une opportunité pour créer un petit espace d'échange entre experts et ce, dans l'intérêt public dans une optique européenne.
Il est évident que le temps est désormais venu pour glisser de la notion de «radiodiffusion de service public» (public service broadcasting) à celle de «médias de service public» (public service media) ou plus exactement «instruments de communication publics cross-médiaux» (public service cross media). Bien évidemment cette réflexion sur le service public trouve son cadre dans le contexte général de la communication.
Dès lors que nous déplaçons la focale de la problématique des médias à celle des communications et à celle des relations entre les contenus culturels médiatisés et les moyens de leur distribution, nous rencontrons inévitablement la question de l'infrastructure.
Plusieurs d'entre les contributeurs de nos discussions ont souligné l'existence d'une fracture numérique. Son importance est variable selon les pays européens et les causes en sont complexes.
Pour ceux qui sont concernés par le service public et ses relations avec la mise en œuvre des infrastructures et des équipements nécessaires au renforcement de la citoyenneté, la question est bien sûr fondamentale. Un tiers de la population du Royaume-Uni n'a pour l'instant pas encore accès aux réseaux haut débit ; la situation est similaire en Italie et dans de nombreux pays européens à quelques notables exceptions près. Nous devons nous interroger non seulement sur les causes de cette exclusion mais aussi sur celles de l'auto-exclusion et ceci exige de nous une analyse de la dynamique des comportements des usagers aussi bien que de celle des conditions de l'offre.
L'investissement dans les infrastructures et l'égalité devant l'accès sont fondamentaux quant à la possibilité de faire des choix - et toujours plus lorsqu'il s'agit de l'usage des services et de leurs capacités d'influence sur la collectivité.
C'est aussi pourquoi, peut-être, vaut-il mieux parler en termes de médias et communication de service public (« Publiçc services media and communications »), ou encore de la refonte des médias et de la communication dans l'intérêt du public.
Nous devons ensuite considérer deux thèmes :
D'abord, nous souhaitons offrir quelques réflexions quant au contexte européen qui nous semble plus qu'instable.
Ensuite, nous souhaitons présenter ce qui, à la suite d'une première lecture des contributions de nos collègues, nous semble être des priorités que nous nous devons de traiter.
2 - Il semble qu'il existe entre nous une large majorité pour considérer que la radiodiffusion télévisuelle traditionnelle sur le mode de la grille n'est plus la seule proposition ni l'unique outil apte à construire une identité collective. Les appareils mobiles, les services à la demande, l'explosion des possibilités de choix par le numérique ont abouti à une fragmentation. Et même plus... au Royaume-Uni, les réseaux télévisuels étaient le médium privilégié pour les rendez-vous politiques des élections générales de Mai 2010 et ce phénomène avait pu être observé à l'échelle du continent lors des élections Européennes de 2009. La télévision demeure, de loin, dans ce nouveau contexte, le médium d'information préféré et répandu.
Ainsi il nous faut avoir le sens de la mesure lorsque nous traitons de la révolution numérique, de son rythme et de son impact.
Néanmoins, force est de constater, et c'est un sentiment amplement partagé par nos collègues, que le service public est partout sur la défensive. Le recours à la métaphore d'un champ de bataille idéologique est tout à fait approprié à notre discussion.
En 2008, le modèle capitalistique néolibéral a connu une crise. Maintenant, en ce début 2011, il est évident qu'aucune réforme fondamentale des structures de financement n'a encore été engagée. La politique est, en Europe, encore déterminée dans ses schèmes fondamentaux par des considérations d'essence néolibérale – liberté d'entreprendre et risques couverts par un cadre institutionnel de soutien par l'État qui amplifie grandement les droits de la propriété privée, le libre-marché et la liberté des pratiques commerciales .
En fait, nous constatons partout en Europe des politiques d'austérité où les coupes dans les services publics sont couplées à une augmentation rampante des différentiels dans les revenus. La radiodiffusion de service public(Pbs) – quel qu’en soient les aménagements constitutionnels- se situe dans le cadre général du secteur public, elle doit composer avec le recul du rôle de l’État et du domaine public et avec les coupes qui en découlent.
Il est vrai également de dire que le projet européen est en crise.
Il y a différentes manières de traiter de la crise financière – avec ses importantes entorses à la solidarité européenne élargie qui ont pu être constatées à l'occasion de l'élargissement de l'UE et pas seulement pour ce qui concerne le problème de l'Euro.
Nous ne pouvons actuellement que constater la résurgence des nationalismes qui s'accompagnent de manifestations de xénophobie : pensons à l'actuel débat sur les reconduites des Roms, aux traductions en terme électoral de la peur de l'Islam, au révisionnisme historique libéré par la fin de la guerre froide, au négationnisme.
L'existence de différences culturelles au travers du continent pose de profonds défis et constitue un ballon d'essai à tous ceux qui continuent à croire en une politique civique, civiles et démocratiques. Il n'y a pas un récit unique de ce que signifie « être européen » ; il n'y a rien d'évident ou partagé à postuler qu'un service public européen est possible.
Ceci posé, l'Européanisation rend possible un modeste cosmopolitisme (quoique limité au périmètre géographique de l'espace européen) et ceci peut se révéler être un important contrepoids au côté sombre et antidémocratique du nationalisme.
Mais le défi pour négocier positivement avec la réalité du multiculturalisme laisse nos États diversement outillés et l'Union Européenne n'est encore, fondamentalement, que la somme des États qui la composent. .
La question d'une culture commune, du rôle des croyances à l’intérieur de la sphère politique et publique fut un problème bien réel lors de la visite du Pape Benoît XVI au Royaume-Uni en Août 2010 - et de fait c'est vraiment un questionnement qui concerne l'Europe dans son ensemble.
L'idée selon laquelle une communication partagée est le pré-requis à la formation d'une démocratie européenne a été au centre de débats récurrents, tant politiques qu'académiques. Plusieurs tentatives ont été faites pour mettre en œuvre quoique artificiellement une réalisation concrète de cet aspect d'une « sphère publique » : des coproductions télévisuelles soutenues par des Initiatives Européennes tels que le programme Media jusqu'au tout récent développement de la dite Politique de la Communication par la Commission Européenne dans le but de remédier au « déficit démocratique ».
Dans la lignée de ces développements et consécutivement sont nées des aspirations collatérales apparues il y a déjà plus de deux décennies à créer un « Espace européen de l'information » qui a depuis évolué en une tentative d'instituer une « société de la connaissance » selon les recommandations de l'Agenda de Lisbonne. Ici les éléments moteurs de ce processus furent ceux de la compétitivité économique globale et de la mutation technologique sans oublier les avancées de la dite économie numérique.
Pendant ce processus, le contexte de l'Union Européenne a dû également composer avec l'incertain développement d'un espace culturel européen avec une prééminence toujours plus accentuée accordée aux Programmes Culture de la Commission européenne depuis 2000.
Alors que tout ceci peut être perçu comme une tendance à « l'européanisation », il n'en reste pas moins que le réel et définitif élément moteur d'un véritable espace communicationnel devrait relever d'un espace politique commun. C'est à l'heure actuelle un processus en panne.
Le rapport de la télévision à son audience hétérogène – plus particulièrement en regard de la façon dont la révolution numérique déploie et introduit une toujours plus grande complexité dans les modes de distribution – soulève des questions quant au rôle du consumérisme dans le supposé processus de la construction européenne. Quels seraient donc ces contenus qui, tout au moins en théorie, pourraient être considérés comme les plus importants dans la consommation ordinaire ?
L'information, bien que souvent citée à ce propos, trouve son format optimal dans ses différentes versions nationales. La Ligue des Champions de l'UEFA et le concours de l'Eurovision produisent certes des audiences transnationales événementielles mais les sentiments nationaux divisent encore les européens sur des lignes tribales lors de ces compétitions culturelles (ce qui, bien sûr, est préférable à la guerre).
Jusqu'à présent, il y a encore peu de preuves récentes d'une réelle demande transnationale pour une programmation issue d'autres pays dans l'Union Européenne. Ceci ne signifie pas naturellement que les programmes télévisés et les formats ne circulent pas, ces derniers par ailleurs pouvant se révéler prévalent dans le cadre d'une uniformité culturelle dans les plateaux de jeux, les programmes de détection de talents et la télé-réalité. Néanmoins, le mode de consommation dominant reste encore celui des cadres nationaux tant du point de vue de l'offre que du style de communication. L'espace Européen est encore linguistiquement et culturellement fragmenté et ce, indépendamment de l'établissement de l'Anglais comme lingua franca.
La construction de la citoyenneté et l'intégration sociale sont des aspirations du sommet vers la base. Cela n'implique pas qu'elles soient mauvaises ou fausses. Ainsi, beaucoup de citoyens pourraient les avoir en partage bien que, dans tous les Etats-membres, bien que les études de l'Euro-baromètre aient révélé les amples variations dans le temps du sentiment d'appartenance européen chez les citoyens.
C'est aussi dans le fait qu'une dimension européenne dans le domaine télévisuel pourrait prendre de multiples formes. Ainsi, les objectifs que sont le processus de construction de la citoyenneté et de recherche de la solidarité sociale nous posent des questions à caractères non seulement normatifs mais aussi pratiques liées pour une grande part à la vision de l'Europe qu'on fait sienne – Welfare-state ou libéralisme, Etats nationaux ou fédéralisme, gouvernance des élites ou système démocratique ?
Puis surgit la délicate question des limites de cette Europe : qui y appartient et qui, au contraire, n'est légitimement pas européen ? Qui en définit les frontières ? Pourquoi et sur quels critères ? Est ce la Realpolitik ou les proximités culturelles ou religieuses – ou alors une combinaison de celles-ci selon les circonstances ? Qui, dès lors qu'il est résident en Europe, peut être autorisé à devenir européen, indépendamment de sa couleur, de ses croyances ou de sa culture ?
3 - Nous avons évoqué les relations entre les services publics dans cette nouvelle période dite des médias sociaux et plus particulièrement ce que devraient être les missions du service public pour comprendre la complexité sociale -et peut-être - pour contribuer à un nouveau modèle de cohésion sociale.
Il y a deux tendances qu'il nous faut prendre en considération :
- la profonde transformation du domaine public en un espace public fragmenté et aux formes complexes de médiations ;
- La profonde transformation toujours plus évidente des sociétés européennes et des publics de ses différents médias.
La transformation des dynamiques d'écoute (d'audience) est étroitement liée à la commercialisation et à la marchandisation de la production culturelle.
Ceci est évident, même dans la communication politique où «un « public émotionnel » a remplacé celui, plus traditionnel, de l'ancienne télévision.
Le modèle classique de service public a présenté le grand avantage d'un engagement politique élargi, issu d'une programmation basée sur une participation publique selon des critères politiques . Le premier avantage en est que de tels programmes proposent désormais un outil dans lequel le public dispose d'une représentation directe dans une production concrète de la sphère publique médiatisée .
Au travers de la télévision et de la radio – et ensuite au travers d'Internet - chacun dans ce public peut utiliser les médias pour s'adresser à ses pairs et développer ses arguments politiques sur la base d'un intérêt commun dans le processus démocratique.
Le second avantage provient de l'opportunité qui est offerte d'un accès public à tous ceux qui disposent d'un poids politique, en tant que membre de la collectivité, par le truchement de la possibilité d'un examen minutieux et d'un questionnement précis à l'endroit des membres et de l'élite de la classe politique .
Un troisième avantage est que cette programmation pourrait inciter à ce que Mac Nair et d'autres appellent la « mobilisation des publics politiques » - c'est à dire la possibilité que les spectateurs et les participants « soient tenus à une prise en compte, ne serait-ce que dans la réflexion, des conclusions issues du débat » .
Ainsi, « à ce niveau où les médias font une évaluation normative de leur propre contribution au service public, octroyant au public une possibilité de participation effective dans la télévision de débat politique, s'actualise la place de la sphère publique dans le cadre des médias (…) et se constitue potentiellement une modèle apte à fournir une réponse au désengagement du public vis-à-vis de la chose politique traditionnelle » .
Si la programmation linéaire de laradiodiffusion des broadcasters traditionnels offre quelques avantages et, jusqu'à un certain point, quelques dispositifs critiques pour l'interprétation, les réseaux sociaux (et même de nombreuses autres formes de consommation médiatique, tels Twitter, Facebook et YouTube) créent de nouveaux et fragmentés acteurs qui, parfois, peuvent participer à l'engagement social et politique.
Des remarques surgissent à l'évocation de la télévision par IP qui représente un outil au fort potentiel d'interactivité et, peut-être, peut permettre l'apparition de réseaux de consommateurs. La croissance de la télévision par IP, dont les services sont diffusés selon une architecture et des protocoles réticulaires utilisant ldes protocoles Internet (réseaux sociaux), est étroitement liée à la mise à disposition des réseaux à large bande.
Dans de nombreux pays dominent encore à la fois le bas-débit qui est indéniablement un obstacle de cette télévision par IP d'une part qui contribue à l'absence d'une culture « open source » d'autre part. En d'autres termes, les possibilités de la télévision par IP pour ce qui regarde le service public croîtra au rythme des progrès des performance en termes de débit dans l'accès à Internet.
Le système de service public de radiodiffusion (PBS) peut-il, aujourd'hui, se transformer en médias de service public ? L'accès aux nouvelles formes de communication peut-il transformer la mission de ce service public ? Ou encore : la dispartition de l'intermédiation peut-elle devenir la logique prédominante du service public ? Ce que nous entendons par là est de savoir si les nouvelles connexions relationnelles sont un modèle qui pourrait aussi s'appliquer à la relation entre le personnel politique et les citoyens.
Est-il possible de se passer des partis et des institutions formelles et de mettre en œuvre des pratiques politiques dans lesquelles le médium est central ? Plus clairement c'est comme si les médias sociaux comme Twitter et Facebook s'étaient dotés de buts politiques et YouTube devenait un dépôt de scènes politiques, tragiques, comiques mais quand même signifiants. Certains blogs peuvent également faire office de vecteurs d'un authentique poids non-institutionnel et qui pourraient pousser les politiques et les journalistes à sauter le pas.
De telles mutations dans les usages, cependant, sont loin d'être épicentrales dans les processus politiques et il est encore difficile d'affirmer si les dits-usages participent d'une redéfinition générale des rapports politiques ou s'ils ne créent pas plutôt principalement des publics spécifiques
Nous voudrions vousmettre garde contre ceux qui professent une vision excessivement enthousiaste des possibilités offertes par les nouvelles technologies dans les médias au seul vu de l'augmentation de la participation du public. Peut-on on affirmer que les réseaux sociaux ou la consommation culturelle par le biais du Net sont toujours, par essence, une forme de participation pour la simple raison qu'ils sont basés sur des protocoles non médiatisés ?
4 - Quand nous discutons habituellement du service public, nous nous référons généralement aux médias de radiodiffusion et à la possibilité qu'ils donnent au public d'accéder à des productions culturelles. Beaucoup de chercheurs sont implicitement marqués par la pensée reithienne quant à ce que devrait être la radiodiffusion (à savoir : « informer, distraire, éduquer »). De cette conception, certains font article de foi tandis que d'autres la rejettent au nom de leur propre déification du marché. Ces deux positions, en définitive, n'offrent que des perspectives dogmatiques.
Naturellement le service public peut également informer et distraire et même, en certains cas, éduquer. Le premier objectif devrait être aujourd'hui d'offrir un espace démocratique aux sociétés civiles européennes. Dans le même temps le service public doit devenir un vecteur de mise à disposition de contenus de service public, c'est à-dire d'un contenu au service du public.
Mais qu'entendons-nous par ces notions de « participation » et d'« accès ». Il y a une différence entre accès et participation et il existe un niveau intermédiaire, celui de l'interaction.
Nous pouvons décliner trois formes « d'accès » :
a) L'Accès 1.0 dans lequel l'utilisation du médium représente, pour le service public, un exemple typique, pour reprendre les mots de Jan Servaes « Il peut être vu comme l'ensemble des possibilités disponibles pour permettre au public de choisir des programmes appropriés et de disposer de dispositifs de retour pour transmettre ses réactions et des demandes adressées aux organismes de production ». Cela s'accorde en principe, par exemple, avec les recommandations du Gouvernement britannique telles que stipulées dans les « Green papers » de 2005 au sujet de la BBC et du service public. En dépit de ses limites, la BBC reste l'un des plus notables exemples d'un accès ouvert à la radiotélévision et aux médias.
b) L'Accès 1.1 : Celui-ci peut être défini selon une perspective de communauté de médias telle que des « processus qui permettent aux usagers un accès relativement ouvert et inédit aux mass-médias » . Ceci correspond à une logique d'absence volontaire de flux dominant (mainstream) et à la prééminence des médias alternatifs.
c) Jan L'Accès 2.0 : Ce modèle est basé sur la possibilité de disposer de contenus publiés et/ou diffusés et, en même temps, d'avoir les moyens nécessaires à une réception des contenus et de pouvoir émettre un feed-back . Ceci concerne quelques expériences de télévision « quasi participatives » (telles que par exemple « Current TV »).
L'accès tel que le permettent les trois définitions présentées ne relève en aucun cas de « l'interaction ». Une simple définition de celle-ci nous amène plutôt vers la notion technologique (mais aussi politique) de « Pull-technologies » (où les requêtes de données, d'informations, et - très souvent - de produits audio-visuels proviennent des consommateurs).
Mais ce nouveau modèle condamne t-il pour autant le traditionnel modèle de « push-technologies » tel qu'il prévalait dans le monde de la radiodiffusion traditionnelle?
Sommes-nous effectivement en mesure de contrôler les « biens symboliques » (comme John B. Thompson les qualifiait) distribués par les médias ou avons-nous simplement l'illusion du contrôle ? « Notre contrôle – comme l'a établi Robeky - peut sembler absolu mais le domaine de ce contrôle est défini ailleurs. Nous sommes partie prenante mais nous n'avons cependant pas le pouvoir de filtrer le langage de l'interaction incluse dans l'interface ».
Certains auteurs ont opposé en vis-à-vis « interaction » et « implication » . Cette dernière notion est l'un des concepts les couramment utilisés dans les études sur la réception et dans les analyses consacrées au processus de « consommation ». Elle met particulièrement l'accent sur l'aspect affectif et relationnel dans le processus de réception et est liée à l'accomplissement d'un pouvoir partagé. Il n'y a pas de réelle codécision dans l'interaction, alors que l'implication, au contraire, ouvre la voie au concept (et à la pratique) d'une communauté relationnelle.
A contrario, la participation peut être envisagée, selon trois critères :
a) participation aux contenus produits ;
b) participation au contenant - organisation de la production ;
c) participation aux politiques de production de technologies, ce qui signifie la possession de compétences techniques et politiques pour être en mesure de co-décider des usages de cette technologie et dans l'élaboration des politiques.
En d'autres termes, la participation représente un mouvement total du couple conceptuel « créativité/reproduction » jusqu'à celui de « performance/implication ».
Il est évident qu'une pleine et entière participation devrait induire une profonde transformation de nos sociétés. L'un des tout premier obstacles se situe au niveau supra-national dans les tensions non-résolues entre l'Union Européenne et les États-membres. La logique sociale du binôme « créativité/reproduction » appartient à la période initiale d'un service public encore ancré dans le romantique idéal d 'artistes en mesure de guider et d'éduquer le peuple.
Dénouer le lien entre créativité et reproduction nous oblige d'autant à repenser ce qui fait la substance d'une communauté relationnelle et ce qui est sous-tendu dans le contrat social de la citoyenneté. La conception contemporaine de la participation est liée à la notion « d'industries créatives » et à une centralité revendiquée de « l'économie créative ». Ceci a pour conséquence le déplacement du concept initial des industries culturelles. Ce qui permet de penser que la définition contemporaine de la créativité est une approche terriblement individualiste de la cohésion sociale.
De tels changements vont bien au-delà des simples relations entre média et institutions publiques c'est à dire qu'ils engagent les relations constituantes de nos sociétés contemporaines – et ont de profondes conséquences sur nos conceptions de la nature et de la valeur du travail culturel.
5. Pour conclure, notons qu'Infocivica nous a préalablement dotés de thèmes propres à nourrir notre discussion. Nous pouvons ou pas être d'accord avec chaque point en détail mais il y a là certainement, déjà, matière à nourrir notre agenda.
Nous souhaiterions souligner les quelques points suivants :
5.1- Les arguments traitant du redimensionnement de la place du service public s'inscrivent dans un champ à haute teneur idéologique et selon l'enjeu de transformations sociales sur lesquelles il est très difficile d'influer.
Nous connaissons aujourd'hui une vague de néolibéralisme contre lequel il n'y a – jusqu'à présent - pas de projet politique d'alternatif pleinement articulé ou convainquant. Tandis que le service public reste encore apprécié dans notre société où dominent idoles et consumérisme dans une sorte de « proxitopie » , il n'en reste pas moins nécessaire de radicalement repenser à leurs racines les raisons de ce dont qui s'est produit. Cette donnée varie selon les pays et selon les schémas institutionnels ainsi que selon l'historique particulier de chaque service public de radiodiffusion.
En dernier lieu, il s'agit donc de reformuler en les éclaircissant les idéaux de ce qui constitue (et fonde) la substance-même de la communication publique et pour en esquisser une forme qui soit en mesure de susciter et retenir l'intérêt du public.
5.2- La question des modes financement du service public est fondamentale. La défense traditionnelle de la redevance est de moins en moins pertinente et c'est une évidence dans une phase où l'abonnement devient la règle et qui connaît une mutation des habitudes dans l'acquisition de services de communication.
La solution réside dans l'assurance d'un financement tant équitable que durable dans un marché caractérisé par la fragmentation. Équitable car un bien commun requiert une participation collective. Durable car sa pérennité est nécessaire au service public pour que celui-ci puisse accomplir ses missions à l'abri de toute révision capricieuse issue d'aléas politiques.
5.3- Nous vivons une époque de forte compétition dans laquelle les conglomérats du privé mènent une guerre de siège contre les institutions de service public. Il n' y a aucune raison pour que cela change prochainement.
Le défi est donc de reconnaître que ces légitimes (tout autant qu'illégitimes) questions de taille et d'échelle sont généralement soulevées par ceux qui dénigrent le service public. Nous devons mettre en œuvre une nouvelle et forte ligne de défense intellectuelle pour faire face à cette situation. Si le mot d'ordre est celui de la qualité, alors cela induit des conséquences dans les domaines du mandatement, de la production et de la distribution.
Y a-t-il d'autres critères-clés qui devraient faire l'objet d'une attention particulière ? La plus grande part de l'actuel débat concerne la place prise par le service public dans le paysage de l'offre numérique. Quels devraient être ces services et comment gagner l'adhésion et le soutien du public ? Quelle est donc la première ligne de défense ?
5.4- Nous ne pouvons discuter de l'avenir du service public sans en reconsidérer les modes de régulation. Indubitablement, ceux-ci varient grandement.
Dans l'actuel contexte dominant néolibéral, la déréglementation est en voie de de s'imposer. Les Institutions réglementaires sont dorénavant un important champ de bataille au-delà des principes et des questions de taille et d'échelle – tant pour Les institutions qui régulent que pour ceux qui sont l'objet de ces régulations.
C'est une question qui a une dimension européenne mais qui en pratique et fondamentalement, se joue au niveau des États.
La création d'un champ d'action en charge de la régulation conjointe des secteurs public et commercial est-elle une inévitable obligation ? Certainement, car la question d'une hyper-régulation du secteur public en parallèle à une déréglementation du secteur privé est désormais le périmètre décisif d'affrontement.
5.5- Le point précédent induit celui-ci. En d'autres termes, il s'agit de la question de l'autonomie politique.
Les politiques sont universellement au cœur de la problématique des médias. La radiodiffusion a eu une relative et conditionnelle autonomie mais il y a encore de la place, dans les endroits où cela existait, pour ouvrir des lieux de débats et mener une exploration pour des modes d'expression nouveaux et alternatifs.
La régulation se doit de soutenir l'autonomie et c'est au niveau européen qu'il est nécessaire de mettre en œuvre un contre-poids aux États où se produisent des infractions à ce principe.
Toute politique des médias est profondément affectée par le phénomène de concentration des pouvoirs sur le marché médiatique . Ainsi la question reste encore et toujours de savoir comment maîtriser les tendances à l'ingérence de la part des intérêts des partis.
5.6- En définitive un des éléments-clés que nous pouvons retenir est celui de la valeur de la comparaison. En quelle mesure les interventions de la Commission européenne à l'encontre des aides d’États affecte la radiodiffusion dans les différents États-membres ?
La méthode comparative permet l'identification des meilleures pratiques, de promouvoir des solutions aux problèmes courants -tels que des méthodes pour convaincantes quant aux initiatives de marché prises pour un nouveau service public et enfin, la compréhension analytique des différences entre les services publics selon les particularités nationales.
En conclusion, tandis que nous nous efforçons d'imaginer de nouvelles formes de service public dans l'espace européen, nous devons avoir à l'esprit les obstacles objectifs que représentent la montée des sentiments de défiance envers l'Europe sur tout le continent, les crises politiques et économiques ainsi que la coalition des intérêts opposés à l'idée-même de service public.
Notre optimisme de la volonté se doit d'autant être tempéré par un le pessimisme de la raison.
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